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Biais psychologiques et investissement : un cas d’école

L’évolution naturelle nous a programmés à prendre des raccourcis cognitifs lorsque nous décidons. C’est le cas en matière d’investissement, où la recherche en finance comportementale a montré que de nombreux biais cognitifs pouvaient interférer avec nos choix.

 

 

Cet article tente d’illustrer, à travers un exemple concret, comment ces biais peuvent prendre forme en pratique.

Intéressons-nous pour ce faire à Nikola Corp (NKLA), une société américaine qui commercialise des camions à faible émission de CO2.

Dans les jours suivants sa cotation sur le Nasdaq en Juin 2020, la valeur boursière de Nikola a explosé pour atteindre 28mds $, niveau rare chez une start-up non rentable.

Avec le recul, quasiment rien ne pouvait alors justifier une telle valorisation d’un point de vue fondamental. Il semble que des facteurs psychologiques aient largement contribué à cette situation. Parmi eux, trois méritent d’être mentionnés en particulier.

 

Road-trip sur le siège passager

En premier lieu, Nikola essaie de manière évidente d’imiter le succès de Tesla Inc, à commencer par son nom choisi en hommage au défunt ingénieur et inventeur Nikola Tesla. Consciemment ou non, de nombreux investisseurs ont eu tendance à faire le parallèle entre ces deux sociétés : chacune récemment fondée aux Etats Unis par dirigeant-actionnaire apparemment visionnaire et exubérant, chacune cherchant à « disrupter » un segment de l’industrie automobile mondiale avec des produits innovants et propres. De fait, beaucoup furent vite exposés au biais cognitif appelé « heuristique de représentativité ».

Heuristique de représentativité : « règle qui consiste à estimer la probabilité d’appartenance d’un objet à une classe d’objets à partir de sa ressemblance avec un cas prototypique de cette classe. » Source : Wikipedia

 

Au moment où Nikola faisait son entrée en bourse, Tesla était depuis plusieurs années déjà sur une excellente dynamique de développement, voyant sa valeur boursière augmenter de manière exponentielle à environ 200mds $. Avec ce précédent encore frais dans les mémoires, la valeur de Nikola, seulement un dixième de celle de Tesla après tout, apparaissait beaucoup plus réaliste que si Tesla n’avait pas existé.

 

Voire, c’est croire ?

Deuxièmement, l’équipe de direction de Nikola, et particulièrement son fondateur Trevor Milton, s’est considérablement employée à « vendre » la société aux investisseurs. Au-delà d’un discours hyper-promotionnel sur les perspectives de Nikola, l’information a souvent été présentée de manière favorisant le biais cognitif appelé « effet de cadrage ».

Effet de cadrage : « le cadrage est l’action de présenter un cadre cognitif comme approprié pour réfléchir sur un sujet. Ce cadrage peut avoir un effet sur le raisonnement et conduire à des choix différents en fonction de la façon dont le problème a été formulé. » Source : Wikipedia

On pourra citer en exemple la première annonce de résultats trimestriels de Nikola, où la société eu recours au rendu 3D pour soutenir l’idée que son usine en Allemagne était proche d’entrer en production de masse (sachant que près de deux ans, ce n’est toujours pas le cas).

Ou pire encore, lorsque Nikola publia une vidéo officielle d’un prototype de camion circulant apparemment en conditions réelles ((https://twitter.com/nikolamotor/status/956576016809340928?lang=fr)), mais fût ensuite forcée d’admettre, face aux révélations du vendeur à découvert Hindenburg Research, que le véhicule en question n’était en fait pas motorisé (il était simplement en roue libre sur une pente).

 

Au revoir “fair value”

Troisièmement, comme souvent lors des introductions en bourse les plus attendues, la valorisation boursière stratosphérique de Nikola a été largement soutenue par la recherche institutionnelle. L’objectif de prix médian des analystes « sell-side » était initialement de 79 $ par action (valorisant Nikola à 28mds $), soit plus de deux fois son premier cours de clôture en bourse (33,75 $). Etant donné l’importance de la recherche actions pour bon nombre d’investisseurs, un consensus initial suggérant un tel « upside » a vraisemblablement créé un « biais d’ancrage ».

Biais d’ancrage : « l’ancrage désigne la difficulté à se départir d’une première impression. C’est un biais de jugement qui pousse à se fier à l’information reçue en premier dans une prise de décision. » Source : Wikipedia

De fait, le cours de l’action NKLA a rallié les 79 $ dans les jours qui ont suivi son introduction. Mais depuis lors, ce niveau n’a plus jamais été atteint, suggérant qu’il ne s’agissait que d’un point d’ancrage temporaire sur lequel les investisseurs se sont appuyés.

 

Au moment d’écrire ces lignes (un peu moins de deux ans plus tard), NKLA se traite désormais aux alentours de 7 $ par action, pour une valorisation implicite beaucoup plus réaliste inférieure à 3mds $.

L’épisode n’est pas sans rappeler une citation de l’illustre investisseur Benjamin Graham, qui disait qu’ « à court terme, le marché est une machine à voter, mais à long terme c’est une machine à peser ».

Au moment où Nikola est entré en bourse, le processus de « vote » a clairement été pris dans une spirale entretenue par des facteurs psychologiques. Mais vint ensuite le moment où le marché commença à « peser », et depuis les choses semblent être rentrées dans l’ordre.

 

Nota: le contenu de cet article ne constitue pas une recommandation d’investissement à l’achat ou à la vente sur les instruments financiers mentionnés.

Norman K Group et ses entités liées ne détiennent pas de positions acheteuses ou vendeuses dans les instruments financiers mentionnés